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do you think this is a fucking game ?
crédit ~ quote/titre.
(1696) Je m'appelle Thaddeus Richard Voerman et je suis né à Salem, Massachusetts, en 1659. J'avais trente-trois ans quand les procès des sorcières de Salem ont eut lieu. J'étais marié à une femme du nom de Mary Easty avec laquelle j'ai eu trois enfants : Thomas, Elisabeth et Alice. J'étais l'usurier du village, aussi était-je un peu en dehors de la communauté car personne n'a de réelle sympathie pour celui que l'on appellerai de nos jours le « prêteur sur gage ». Je m'en accommodais bien car la solitude m'est une douce amie, fidèle et respectueuse, qui satisfait pleinement mes envies de calme et de sérénité. Hélas, en Septembre 1692, ma femme fut accusée de sorcellerie et enfermée avant d'être pendue le 22 du même mois. Je peux l'affirmer après de nombreuses recherches : ma femme a été accusée à tort et n'avait rien à voir avec la pratique de la magie, qu'elle soit noire ou saine. Mon destin s'est scellé trois ans plus tard, en Juillet 1695. Un soir, alors que la lune était déjà haute dans le ciel, j'ai reçu la visite tout à fait surprenante du Révérend Francis Dane qui avait disparu depuis deux ans. Le choc a été tel que je l'ai laissé entrer et c'est là que j'ai été étreint pour renaître à l'état de vampire. Je n'ai pu mettre un mot sur ma condition que quelques années plus tard après quelques haletantes recherches sur la sorcellerie et la malédiction du soleil et de la lune. Le Révérend Francis Dane était l'un des membres du clergé à l'origine des procès – et donc de la mort de mon épouse – un vampire originel. Je l'ai enfermé dans un silo afin qu'il y passe la journée et, la nuit suivante, il ne restait plus que ses cendres. Je pense qu'il s'est laissé mourir, ses convictions religieuses l'ayant emportées sur son instinct de survie. Tenir un journal pourrait être intéressant, ne serait-ce qu'à titre historique et académique. Je vais continuer sur cette voie et écrire tous les jours.
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(1704) J'ai quitté Salem. Mes enfants sont assez grands pour se débrouiller et je m'aperçois que je supporte de moins en moins le froid. Sans doute parce que mon corps n'est plus réchauffé par l'étincelle de la vie et que, naturellement, je veux la retrouver à nouveau. Peut-être est-ce un moyen de faire de la privation de soleil une souffrance plus forte encore ? J'ai donc rejoint le sud dans l'espoir de connaître des nuits chaudes. Birmingham dans l'Alabama s'est avéré être mon choix final. De plus, je ne pouvais rester à Salem : je ne vieillis plus et cela commençait à se remarquer. D'autant plus que je ne pouvais plus paraître la journée. Si cela perdure, je devrais changer d'endroit tout les dix ou quinze ans. Autre changement notable : je suis plus fort, plus rapide et plus alerte qu'auparavant. J'ai l'impression de voir le monde sous un jour nouveau, de découvrir un potentiel jamais exploité. Cela s'avère très pratique. J'ai mené plusieurs tests pour tâter mes limites et je constate avec plaisir qu'elles me permettent une vaste marge de manœuvre avant de m'y buter.
J'ai pu me faire engager comme gardien de nuit dans une plantation de coton. J'aurais pu monter en grade assez aisément aussi, mais mon handicap diurne m'en empêche. C'est regrettable. Je pense investir mon argent pour le faire fructifier et diriger ma propre plantation. Quant à vivre éternellement, autant vivre bien.
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(1739) J'ai plaisir à penser que le fruit de mes recherches sera apprécié et estimé si jamais je publie ce journal qui possède déjà trois tomes. J'ai effectué des nombreuses recherches sur les sorcières, les loups-garous, ainsi que sur les individus de ma propre race. Les sorcières se sont reconstruites ailleurs qu'à Salem et vivent sous le sceaux du secret, comme nous autres maudits. Nous nous sommes reproduits, vampires comme garous, bien que nous ne formons pas de vastes clans. J'ai noté que si les lupins vivent plutôt en meutes, les miens préféraient être seuls et ne se croiser que par la force du destin. J'ai revu quelques uns des premiers vampires de Salem mais c'est une race presque éteinte – ils ne supportent pas de porter la marque de Satan – ce qui fait de moi l'un des plus anciens – peut-être même LE plus vieux – vampire sur la Terre. Après tout, même les premiers buveurs de sang n'ont que deux ans d'existence immortelle de plus que moi. Je suis fier de cet état de fait.
Oh, j'ai noté que vampires et loups-garous ne faisaient guère bon ménage. Je peux apporter de quoi étayer cette rivalité insensée : ne sommes-nous pas compagnons d'infortune ? Ce n'est certes pas le même astre qui maudit nos vies, mais nous sommes tous les victimes des mêmes personnes. Nous devrions plutôt fonctionner ensemble plutôt que les uns contre les autres. […]
Me voilà propriétaire terrien sous le nom de Richard Kilpatrick. Gérer une plantation me divertit beaucoup, c'est même très excitant. Et d'autant plus difficile que je ne peux le faire que lorsque le soleil est couché. Cependant, je m'en tire bien. J'ai été bon élève à mon poste précédant et je suis plutôt habile en affaires. Laissez-moi vous introduire ma stratégie pour faire un maximum de bénéfices avec un minimum de moyens […]
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(1861) J'ai bien fait de vendre ma plantation il y a cinq ans. Les signes ne m'ont pas trompé. La guerre a éclaté entre le Nord et le Sud et la guerre civile fait rage. Je me suis réfugié dans l'Utah. Le temps est moins clément qu'en Caroline du Sud, mais il vaut mieux ça qu'être pris dans les combats. J'avoue que je me sens de plus en plus épuisé... Je n'ai pas écris dans mon journal depuis trois jours alors que j'écrivais sans faute chaque nuit d'éveil. Je crois que je me lasse. Après près de cent-cinquante ans d'immortalité, j'ai l'impression de sentir mon humanité me rattraper. J'ai l'impression de m'ennuyer de tout. Qu'est-ce que la vie sans la peur de mourir, sans date limite ?
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(1912) Je viens de sortir d'un long sommeil. Je ne pensais pas être capable de « dormir » si longtemps. C'était davantage comme un coma volontaire, une longue hibernation. J'ai vendu toutes mes possessions et retiré mon patrimoine de la banque avant de me caché dans une cavité souterraine avec mon argent afin qu'on ne trouve pas mon corps et qu'il ne soit pas détruit. Le choc est grand, il s'est passé de nombreuses choses depuis les années 1860. Tout à radicalement changé.
Ce qui n'a pas changé par contre – à mon grand désespoir – c'est les gens. Mortels ou immortels. J'ai été à une réunion de vampires dans le Minnesota et l'attitude des nouveaux nés m'a fait craindre pour la dignité de notre espèce. Je n'étais déjà pas friand de ceux que j'avais rencontré auparavant, mais ce n'est pas allé en s'arrangeant. Serais-je aigri ? Je préfère la compagnie des anciens de ma lointaine époque, au moins ils savaient se comporter. Le monde devient fou.
Le point positif étant que j'ai découvert une nouvelle espèce à étudier. Ils se nomment les métamorphes et j'ai eu la chance d'en rencontrer une du nom de Harriett Phyllis Dickens. Mon intérêt est vif et je ne me lasse pas de l'observer. Elle peut prendre l'apparence de n'importe qui – dont la mienne. J'y ai vu une utilité absolument inédite : si elle se révélait digne de confiance, elle pourrait me remplacer le jour pour dissiper les soupçons ou s'occuper d'impératifs. Je garde l'idée sous le coude. Je suppose qu'en échange je lui devrais bien ma protection. Je compte vivre un moment avec elle pour enrichir mes notes au sujet de cette nouvelle espèce. […]
Tiens, le Titanic a fait naufrage. La vie humaine est si fragile et insignifiante, tout comme leur constructions soi-disant sans faille. A méditer.
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(1927) Je ne pensais pas me remarier, mais c'est choses faite. Non pas par amour, mais par intérêt réciproque. L'heureuse élue n'est autre que Harriett. Elle a besoin d'un mari par convenance sociale et moi j'ai besoin d'une doublure diurne. Je me suis engagé à ne pas l'asservir comme peuvent le faire certains maris abusifs. Après tout, il n'y a rien entre nous alors ça m'est bien égal qu'elle « me trompe » ou qu'elle ne me demande pas mon avis. La seule chose sur laquelle je serai intransigeant sera la gestion de l'argent. Nos comptes bancaires sont évidemment séparés. Elle a vidé le sien avec une rapidité effrayante. Comme je ne suis pas chien, je lui alloue une somme chaque semaine. Mon patrimoine se porte suffisamment bien pour que je me le permette. Je crois que l'aviation c'est l'avenir : j'ai beaucoup investi dedans et j'ai le sentiment que j'en ressentirai bientôt les retombées bénéfiques. Pour le reste, j'ai acheté plusieurs hôtels à Philadelphie. Les affaires vont bon train. On me connaît sous le nom de Christian Thaddeus Dane, du nom de mon défunt Sire. J'ai le bras assez long pour avoir pu obtenir une demi-douzaine d'identités différentes qui me permettront de vivre en sécurité. Le Secret est quelque chose qui me tient très à cœur. J'ai déjà exécuté une poignée de vampires négligents à ce sujet. Rien ne m'exaspère plus que la négligence. Depuis quand pactise-t-on si étroitement avec le bétail pour une autre raison que l'auto-préservation ? C'est parfaitement stupide. J'ai moi-même des associés et des employés mortels, mais je ne les fréquente qu'à titre purement professionnel et ils sont triés sur le volet. Autrement, cela tiendrait de la perversion.
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(1933) Qu'ai-je fais... ? Ça ne me ressemble pas de me laisser aller au sentimentalisme et aux bas instincts de mammifères. C'est bon pour le bétail. J'ai honte d'en parler dans ce journal. Cela n'arrivera plus.
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(1936) Je ne supporte plus Harriett. Elle est bruyante, dépensière, puérile, frivole, irréfléchie, téméraire, épuisante, maladroite,... Elle ne pense jamais à rien, elle ne fait pas attention, elle fait ce qu'elle veut quand bien même c'est totalement et profondément stupide. Nous nous disputons souvent. J'ai eu des mots très durs à son encontre mais je pense qu'elle les méritait. Je ne peux plus souffrir de vivre à ses côtés, c'est éreintant et ça m'use les nerfs. J'avance moins vite dans mes recherches, je suis moins efficace et j'ai même perdu des parts en bourse. Je vais demander le divorce et nous partirons chacun de notre côté. Il fait trop froid à Philadelphie de toute façon. J'ai besoin de chaleur. Je vais me rapprocher de Hollywood, j'ai des parts dans l'industrie du cinéma. Je vais racheter une agence de production. Oh, il faut aussi que j'investisse dans l'armement. Il va y avoir la guerre en Europe, je peux presque le toucher du doigt. Quant à investir dans l'aviation, c'était une excellente idée. Bien. Je vais quitter Harriett et partir.
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(1959) Je crois avoir accumulé une richesse incommensurable. La guerre et le cinéma ont fait doubler mon patrimoine. Cela m'a permis de financer plus amples recherches sur « les créatures » et de me procurer d'inestimables artefacts pour agrémenter ma collection. Je suis très friand d'antiquité et d'objets rares, de livres aussi, d'autant plus quand ils sont rares et anciens. J'ai même récupéré quelques artefacts sorciers. Je ne m'en sers jamais mais je suis heureux de les posséder. J'ai également acheté quelques restaurants à Hollywood, Los Angeles et Santa Monica. […]
Ça me fait mal de l'avouer, mais maintenant qu'elle n'est plus là, après tout ce temps, Harriett me manque un peu... Je crois que je me sens un peu seul. Je n'ai pas envie de faire entrer quelqu'un d'autre dans ma vie privée comme j'ai pu le faire avec Harriett. Je suis réservé, méfiant, alors ça me coûterait trop de devenir proche d'une autre personne, je crois. D'autant plus que, plus je prends de l'âge, plus j'ai tendance à me sentir traqué. Quand on est un vieux vampire comme moi, on ne peut dormir sur ses deux oreilles. Je crains l'avidité écervelée des plus jeunes, la bêtise des garous aveuglés par le mauvais conflit, la deuxième partie d'une vengeance sur le tard de la part des sorcières.
Hm. Je vais enquêter pour retrouver Harriett et m'excuser.
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(1965) Finalement, c'est Harriett qui m'a retrouvé. C'est un grand soulagement de la revoir, plus que je ne le pensais. Nous nous sommes excusés tous les deux l'un à l'autre ; elle pour être épuisante et moi pour être psychorigide (ça ne me plaît pas de m’apposer cet adjectif, mais on me l'a donné plusieurs fois, humph). Nous avons à nouveau vécu quelques mois ensemble avant qu'elle ne reparte pour le nord. Nous avons échangé de quoi nous contacter à l'avenir, pour rester en relation malgré la distance. Je me sens un peu mieux.
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(1974) A moi Las Vegas et ses casinos. Las Vegas et ses hôtels. En fait, j'adore les hôtels. Ce sont mes commerces préférés. J'aime les construire, j'aime les acheter, j'aime les rénover, j'aime les revendre. J'aime leur fourmillements, leurs population en migration, changeante. C'est tous les jours de nouveaux visages, de nouveaux secrets. Si je n'aime pas particulièrement me lier aux mortels, j'aime les observer. Cela me plaît. Alors du palace luxueux au motel miteux, je trouve mon bonheur partout où il y a des chambres numérotées... Las Vegas étant la première ville hôtelière du monde, je n'ai pu qu'adorer. C'est mon péché mignon. Mon travers. J'en ai acheté plusieurs de toutes les sortes et je finance un casino. J'aimerais avoir ma propre chaîne, mais cacher mon immortalité s’avérerait de plus en plus compliqué dans ce cas. Je réfléchirai à un moyen, j'ai encore du temps devant moi...
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(1988) Me revoilà à LA. Je suis passé par Santa Fe et San Diego avant, mais je n'ai pas trop aimé alors je n'y suis pas resté très longtemps. J'ai déjà essayé Houston, Dallas et Phénix par le passé, mais entre toutes les villes, c'est Los Angeles qui fait battre mon cœur – haha façon de parler. (Tiens, ça ne m'arrive pas souvent, mais une autre petite plaisanterie : dire aux personnes qui m'exaspèrent qu'ils sont mon « rayon de soleil »). […]
C'est à la fois de plus en plus difficile et de plus en plus facile de vivre en tant que vampire à notre époque. Plus facile parce que les gens ne croient plus sérieusement aux monstres et que travailler de nuit n'est plus considéré comme parfaitement suspect. Plus difficile à cause de l'informatique, des caméras de surveillance, de toute la paperasse bien plus rigoureuse qu'autrefois... J'ai beau changer régulièrement d'identité et en avoir un certain nombre en réserve, c'est compliqué. Parfois, je crains de me faire prendre, que ma supercherie soit éventée. Je prends toutes les précautions pour éviter cela. Notre secret doit être protégé à tout prix ou plus jamais nous ne pourrons vivre normalement. […]
Harriett vient demain, je dois tout préparer.
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(2003) Je pose mes bagages à la Nouvelle-Orléans cette fois. La dernière fois que j'y suis allé, c'était il y a bien longtemps. Tout à changé, évidemment. Cette ville semble être un berceau de magie, cela va grandement servir à faire avancer mes recherches. J'en suis déjà à vint-six tomes de ce journal. […]
Les gens de maintenant sont bizarres, quelle que soit leur nature. Ils ont tous des « problèmes existentiels inextricables ». Ils ont des désordres mentaux fondés sur des futilités, ils se plaignent, s'exposent... Quand ils ne font pas preuve d'un narcissisme écœurant. Même les vampires plus âgés semblent touchés par ce mal qui ronge notre société. Je suis peut-être un puriste, vieux-jeu et antisocial, mais ce monde a vraiment un problème. Quand j'étais mortels, on avait des problèmes autrement plus préoccupants mais on était plus heureux. Le confort de vie laisse le temps de penser à des choses idiotes et donc à se rendre malheureux. C'est pitoyable. Tout le monde veut tout, tout de suite. Tout le monde cherche la facilité. Même les vampires se renient eux-même en voulant faire comme les mortels et en se pavanant avec des bijoux ensorcelés. Comment peuvent-ils prétendre être des prédateurs s'ils ne savent pas s'adapter à leur condition ? Je n'éprouve personnellement plus le moindre attrait pour la lumière du soleil. Je ne suis plus humain depuis trop longtemps. Tous ces plaisirs éphémères m'indiffèrent. Je n'aime que l'argent et les murs qu'il me permet de posséder. Plus que jamais, la solitude sera ma meilleure maîtresse. De toute façon, j'ai trop à faire. Cependant, j'aimerais presque revenir sur ma première impression et me rendre compte qu'il y a des éléments sauvables dans cette ville.