J'aurai aimé pouvoir dire que j'aime ma famille plus que tout, que je ferai n'importe quoi pour eux mais je ne le peux pas. Je ne le peux pas parce que je ne connais ni le noms ni le visages de mes parents. Savaient-il déjà que j'aurai cette anomalie, cette bizarrerie en moi ? Sont-ils toujours en vie ? Pensent-ils à moi parfois ? Je n'en sais rien, tout ce que je sais c'est que je n'aurai pas pu avoir pire enfance. Je n'ai pas eu la chance de voir une famille m'adopter et me considérer comme leur propre enfant lorsque je n'étais qu'un bébé. Alors j'ai grandi, j'ai grandi et tout un tas de famille d'accueil se sont succédées. Je ne saurai dire combien, des dizaines, des vingtaines ? Je voulais simplement être aimé, être comme tous ces autres gosses à l'école, avoir une place au sein d'une famille. Mais une pièce rapportée, reste une pièce rapportée. La petite fille que j'étais n'a pas mis longtemps à le comprendre. J'étais discrète mais intelligente, douce mais empli d'une colère dont je ne connaissais pas la raison. Je n'ai jamais cherché à rester en contact avec aucune de mes familles d'accueils et réciproquement. J'ai détesté ça, assister à ce bonheur, à cet amour démesuré que je rêvais de partager alors que je n'ai jamais rien été de plus qu'une spectatrice. Frustrant ? Cruel ? Certainement un peu des deux mais j'imagine que tout ça m'a permis de m'endurcir et de grandir plus rapidement que les autres, une chance d'ailleurs car je n'étais pas au bout de mes malheurs. J'avais à peu près vingt ans lorsque j'ai rencontré ma dernière famille d'accueil. Des parents tirés à quatre épingles et un petit garçon tout à fait adorable. Je n'avais plus qu'un an a tiré avant d'atteindre ma majorité et pour une fois, j'avais l'impression d'être autant intégré qu'on pouvait l'être dans mon cas. Le petit s'était pris d'affection pour moi et très vite c'est devenu une petite glue. Il n'avait rien des gosses invivables que j'avais rencontré dans le passé. Et pour une fois, j'avais une place. Je me voyais déjà repartir à zéro, jusqu'à ce que je me rende compte...


« Will ? Comment tu t'es fait tous ces bleus ? » Lui demandais-je en l'aidant à retirer son polo. J'effleurais du bout des doigts les traces violacées sur sa peau et une boule étouffante me serra la gorge. Il se contenta d'hausser les épaules en détournant le regard. Je vérifiais que l'eau de son bain n'était pas trop chaude avant de l'y mettre dedans, priant intérieurement que je me trompais. « Est ce que quelqu'un te fait du mal ? A l'école ? » Il secoua la tête négativement tout en jouant avec son bateau. Je pinçais les lèvres, soucieuse. « Est ce que quelqu'un à la maison te fait mal ? Maman ? Papa ? » Il releva la tête me fixant de ses grands yeux d'enfants apeuré. « Non non, personne ne me fait du mal ici, papa et maman m'aiment. » Se pressa-t-il de dire trahissant son angoisse. Je serrais les dents et me fit la promesse silencieuse que personne ne lui ferait du mal. « Ca va aller d'accord ? Je te le promets. »


Chaque jour, je vérifiais l'état de son corps sans en parler, à qui étais-je censée dire ça alors que je ne savais pas quel parent laissé aller sa violence sur le petit ? Pour la première fois, j'ai mis à contribution ma bizarrerie pour me changer en oiseau et avoir un œil sur William constamment en prétextant passer le week end chez une amie. Je n'ai pas eu à attendre longtemps avant de mettre le doigt sur le coupable. Le père. Malheureusement il avait toujours le dernier mot sur sa femme. J'ai été obligée de l'affronter, lui dire que je savais ce qu'il faisait. Il y a eu un temps de répit, très court en réalité, trop court. Je savais que dès que j'aurai atteint la majorité, il me ficherait à la porte et il reprendrait ses mauvaises habitudes. Le hic, c'est que j'avais anticipé et j'avais prévenu une assistante sociale avec qui le feeling était bien passé durant toutes les années ou j'avais erré d'une famille d'accueil à l'autre. William s'est retrouvé en foyer en attendant que sa mère accepte de quitter son mari pour en récupérer la garde. Je ne me réjouissais pas de le savoir en foyer mais c'était toujours mieux que d'être battu sans aucune raison. Et bien évidemment j'ai pris mon envole dès mes vingt et un ans atteints. Depuis je vis seule dans un petit appartement en ville. Je me suis trouvée un petit boulot de serveuse/barmaid dans lequel je ne m'épanouis pas vraiment mais travailler de nuit paye mieux et Dieu sait à quel point j'ai besoin d'argent pour garder mon indépendance.


     

Il m'arrive encore aujourd'hui de me demander si un jour, j'aurai plus d'informations sur mes parents, mes origines et sur ma bizarrerie. Il m'arrive encore de sourire en repensant à la façon dont je me suis rendue compte que j'avais ce quelque chose en plus.


Je balançais mon sac de cours sur le sol avant de me laisser tomber sur mon lit. Je lâchais un soupire, en balayant la pièce froide qui me servait de chance. Cette première année au lycée était source de stress et de fatigue, encore plus que je n'aurai pu l'imaginer. Je n'aime pas ma classe, je n'aime pas ma famille d'accueil ni mes professeurs. Voilà une année sympathique en perspective. « Salut Moustache. » Il n'y avait que le chat de la famille que j'avais apprivoisé et il avait élu domicile dans ma chambre, enfin sur mon oreiller plus précisément. A peine avait-il sauté sur mon lit qu'il ronronnait déjà de bonheur, patachant sur ma couette. Roulé en boule, je lui offrais une caresse en l'observant avec envie. « Si tu savais la chance que tu as toi ! » Le chat ne dédaigna même pas ouvrir un œil. Pendant un cours instant, je l'ai envié, imaginant comment pouvait être la vie d'un chat. Manger, dormir, sortir, être aimé, ronronné, ça me semblait être plutôt sympa. Puis soudain, un truc étrange s'est produit : du haut de mes quinze ans une drôle de sensation a envahi chaque cellule de mon corps. Ma vue s'est troublée, puis modifiée totalement. En réalité, c'est tout mon corps qui venait de se modifier, j'avais une belle fourrure blanche, des griffes et une queue. Mon palpitant a loupé un battement, non ce n'était pas possible. Je m'étais tout simplement endormie et j'étais en réalité entrain de rêver n'est ce pas ? J'ai bondi au sol avec une souplesse que je ne me connaissais pas. Je me suis postée devant mon miroir avant qu'un feulement ne m'échappe. Même Moustache est descendu pour voir ce qu'il se passait, tournant autour de moi. Je venais de me changer en chat.


C'est ainsi que ma première transformation a eu lieu, j'ignore encore comment. Suite à ça, je suis restée dans la peau d'un chat pendant deux jours. J'étais paniquée, effrayée et surtout, totalement perdue. J'ai fini par m'endormir, morte de fatigue et à mon réveil j'étais de nouveau moi, une moi toute nue, endormie dans les buissons du jardin. J'ai essayé d'effacer ce souvenir de mon esprit, mais sans succès. Pendant quelques temps, j'ai pensé à faire des recherches sur mes parents biologiques mais utiliser la raison ''je me transforme en chat'' c'était plutôt bizarre. J'ai attendu quelque temps avant de retenter l'expérience, avec les années je me suis rendue compte que je pouvais prendre l'apparence de n'importe quel animal que je pouvais observer ou que j'avais parfaitement en mémoire. Aujourd'hui je sais parfaitement maitrisée ce que je suis même si cela demande beaucoup de concentration et que la transformation demande beaucoup d'énergie. Depuis onze ans et encore maintenant je ne cesse de me demander : Suis-je unique ou y a -t-il d'autre personne comme moi ?