Entre ses doigts, j’étais à la fois vulnérable et prêt à tout endurer. La satisfaction se manifestait par vagues de joies, comme au rythme d’un doux va-et-vient. Il en était d’ailleurs la même chose pour la pauvre chaîne hi-fi qui changea frénétiquement de chanson, par magie, une bonne vingtaine de fois. Regarder les yeux de Léo clignoter comme des feux tricolores me rappelaient à quel monde nous appartenions. Lui métamorphe, moi sorcier. Deux espèces différentes sur le point de s’unir physiquement. C’était contre tous les préceptes mais je m’en moquais. J’avais depuis longtemps dépassé le stade de la catégorisation. La main sur son pantalon, je me risquais moi aussi à lui octroyer quelques plaisirs. Lui déboutonnant son bas d’une main, je ponctuais ma respiration rauque de gémissements aigus, qui sonnait presque ridicule à mes oreilles. Quand je ne l’embrassais pas, je le regardais. Et quand je ne le regardais pas, j’humais le doux musc de son cou. Osant l’irruption de mes doigts dans son sous-vêtement, je passais à la vitesse supérieure. Etait-ce l’effet de l’alcool ou du cannabis mais à vrai dire, ma patience devenait clairement limitée et même si je demeurais doux, ma passion me trahissait. Quel con. Pourtant, je me voyais déjà accaparer toute la journée de Léo. Des heures dans ce lit. J’aurais le temps de me rattraper, si je ne perds pas dans les limbes du plaisir.

Il m’était au combien difficile de mettre un mot sur ce que je faisais. Les caresses réciproques étaient exquises, les baisers sublimes, les désirs latents révélés. J’avais envie de Léo, là, tout de suite. Qu’importe les conséquences. Comment allions nous faire pour reprendre notre vie de colocataires comme si de rien n’était ? Je n’en avais pas la moindre idée, et, la sensation de puissance aidant, j’en conclus que ce n’était pas le moindre du monde important. Je me devais de vivre l’instant présent et d’apprécier chaque instant. De toute manière, je n’avais jamais planifié quoi que ce soit et ça s’était toujours plus ou moins bien passé. La preuve était de ma rencontre merveilleuse avec le – pas si – jeune métamorphe. Surprises, surprises. Qui aurait pu prédire la tournure qu’allaient prendre les évènements ? Tout le monde à vrai dire. Hormis les deux intéressés. Telle était l’ironie de la situation.
En plus de cela, j’étais perdu émotionnellement. Aimais-je Léo où était-ce trop tôt pour m’en douter ? Etait-ce seulement l’effet des psychotropes ? Assistais-je au début de quelque chose ? La dernière hypothèse me semblait être la bonne. Cette idée m’ébranlait. Je m’apprétais à le faire pour la première avec quelqu’un pour qui j’éprouvais bien plus que du désir purement physique. Une nouvelle première fois. Et à voir mon malaise quand je ressentais la douce chaleur des doigts de Léo sur mon membre, j’avais décidément l’air d’un vierge. La honte. M’appliquant à lui prodiguer la meilleure masturbation que j’aurais pu lui faire, je tentais bien de me rattraper. Les joues rosies par la chaleur, la timidité, la proximité, je devais avoir l’air de l’un de ses agneaux. Le comble du comble pour un sorcier qui se respecte.
Lorsque Léo me retourna, exposant mes fesses, je compris la tournure qu’allait prendre les choses. Nous allions nous unir, charnellement du moins. En moins de temps que je le crus, le préservatif était enfilé et il se retrouvait allongé contre mon dos. Je gémissais, me sentant encore une fois vulnérable. Je n’avais pas l’habitude de ce genre d’attitude mais c’était la première fois que je sentais mon âme toute entière vaciller.
« Je suis prêt, Léo. »
Soufflais-je, sans même m’en rendre compte.

Sentir nos corps ne faire plus qu’un. La sensation était enivrante. J’avais étrangement mal au cœur tant ce moment était parfait. Peut-être trop pour moi. La tête posée sur l’oreiller, je profitais dans la juste mesure de ses mouvements de va-et-vient. Enfin ce moment arrivait. C’était comme la réalisation d’un fantasme. Enfin, à la différence de ce dernier, j’avais toujours eu envie de le concrétiser. Dévoré par un contentement profond et puissant, je me laissais aller et mes petits gémissements – je n’avais jamais été excessif – en disaient long dessus. Le contact de Léo sur sa peau avait comme effet curieux de le parcourir d’électricité. Fait étrange qui se répercutait ensuite sur l’éclairage de la pièce : ils étaient tous les deux plongés dans une sorte de pénombre, les volets étant seulement entrouverts. Son souffle chaud et saccadé me transportait partout là où il me désirait. Les draps coincés entre les doigts, je laissais ma respiration continuer sur son rythme anarchique. J’étais si bien que j’en étais déboussolé. Où étais-je ? Quelle heure était-il ? Tout cela était des détails. Léo était là, s’unissant à moi, et c’était la seule chose qui comptait.

Une fois retiré, je réalisais que mes idées étaient redevenues plus claires. La drogue et l’alcool s’étaient assez dissipés pour me permettre de réaliser l’ampleur de ce qui venait de se passer. J’avais couché avec Léo. Bon, d’accord. Il n’était pas insensible à ma personne et moi à ses charmes. Mais là, nous étions coincés. J’étais perdu et à vrai dire, je me sentais coincé dans une situation gênante, oppressante dont la seule porte de sortie eut été la prise de décision : qu’allons-nous faire de « nous » ? Il était clair et net que nous ne pouvions pas faire comme si de rien n’était.
Après tout, j’étais sa muse quand même. La manière dont l’idée me traversa l’esprit me fit sourire. Le cas était, lui, bien trop sérieux pour que l’on puisse en faire de même. En fait, je décidais qu’il valait mieux laisser les choses se faire, sans trop y réfléchir. Nous serions probablement amenés à réitérer l’expérience et puis, peut-être que nous finirions par nous promener main dans la main. Je n’avais nullement envie d’aller voir ailleurs mais de là dire que je me considérais en couple, c’était peut-être aller trop loin. J’allais dire quelque chose mais Léo m’interrompit, lui affirmant que leur acte n’avait pas été une erreur. Je m’approchai de lui, rentrant dans les draps à ses côtés, en partie pour lui montrer qu’il n’avait pas – plus – à être pudique avec moi, et lui passai la main dans sa tignasse. M’avançant lentement, je collais mon corps nu contre le sien, déposant un baiser timide sur ses lèvres, ma manière de lui répondre.

Le moment charnel étant passé, j’étais toujours autant chamboulé. Le corps enlacé avec celui de Léo, la tête posée sur l’oreiller, nos nez l’un contre l’autre, je le regardais de tous mes yeux. De tout mon âme. Le malaise était bel et bien là mais je ne voulais pas le laisser s’installer. Je me mettais pourtant à sa place. Il venait de coucher avec garçon. Sa première fois homosexuelle. Ce devait être d’autant plus perturbant pour lui que pour moi. Mon cœur vibrait sous le contact de la douceur de sa peau mais qu’en était-il de la sienne ? Se sentait-il défaillir à chaque regard, caresse ou respiration ? Je n’en avais pas la moindre idée mais ça gêne éclatait au grand jour : teint rouge écarlate, clignotement de ses iris tant ils changeaient de couleur (signe qu’il passait probablement par autant d’émotions qu’un arbre compte de feuilles). Lui qui était si maîtrisé, volontaire quelques instants. Je retrouvais Léo. Le Léo timide, l’artiste coincé dans son trou, le petit bout de cent ans qu’on avait envie de réconforter quand le tonnerre grondait. J’étais vraiment stupide. Une idée me traversait l’esprit. Et si je lui faisais oublier de force toute cette journée ? L’effort serait considérable, la fatigue intense et la douleur presque insupportable mais si cela pouvait lui épargner des interrogations existentielles aussi douloureuses que veines, j’étais prêt à le faire. Cela lui ferait sûrement un bien fou. J’en étais certain. Moi ? Je n’avais qu’à prétendre qu’il ne se saurait rien passé. Je lui conseillerais de mettre un caleçon et lui expliquerait qu’il a fait une crise de somnambulisme au beau milieu de la journée. Ce scénario me semblait carrément bancal. Tout tournait si vite dans ma tête. Seule la caresse sur mon épaule me ramena à la réalité. Il ne voulait pas que ça se sâche. Était-ce une honte ? Non bien sûr que non. Il n’était seulement pas prêt à sortir du placard. Rien de plus normal. Je le comprenais. J’aimais le comprendre. « Ne t’en fais pas.. Tout ira bien. Je sais garder un secret. » Je m’asseyais, soulevant les draps. Léo, inquiet fit de même. Je ne le regardais pas, me contentant de fixer  la lumière entrant avec lenteur dans la pièce. Plus j’y pensais et plus je me disais que je devrais être le seul à porter le fardeau que représente cet écart. Peut-être pendra-t-il inconsciemment nos ébats, comme inspiré par une lueur lointaine. C’en était assez. Me tournant vers lui, je lui souris puis posait mon front contre le sien. Il ne comprenait rien de ce qui arrivait. C’est alors que je vins dépose ma main sur son menton, relevant ses yeux vers les miens. Concentrant toutes mes forces, je me résolus à faire ce que mon devoir m’indiquait. « Léo Allen. Tu vas bien écouter ce que je vais te dire. » Ma voix n’était plus la même. Elle se teintait d’un air carillonnant, surnaturel. La persuasion. « Tu vas oublier ces deux dernières heures. » Ma voix était tremblante, serrée. Non seulement persuader une créature surnaturelle me vrillait le crâne, mais en plus, faire ça à Léo me retournait le cœur. « Tu retourneras dans ta chambre quand je te l’indiquerais. Tu enfileras un caleçon, puis tu peindras une toile. Ce qui te vient. » La nausée m’assaillit. J’étais prêt à jurer que mon teint devenait livide. Maintenir la persuasion aussi longtemps me broyait de l’intérieur mais perdre mon Léo, du moins celui que j’avais connu aujourd’hui, était bien plus douloureux. Une larme roulait sur ma joue tandis que je claquais des doigts. Le signal avait été donné, notre aventure effacée.