Seasons range, but you remain the same
A steady heart, a sun to rain
You'll be the light that's shining bright
High above me

Hope parcourait les rues de la Nouvelle Orléans avec lenteur, comme pour savourer ce retour aux sources qu’elle avait tant souhaité, mais qui lui laissait un goût un peu amer au fond de la bouche. Elle se sentait un peu étrangère dans cette ville qu’elle avait toujours considéré comme la sienne, tant d’années étaient passées depuis qu’elle l’avait quittée ! Pourtant, bien peu de choses avaient changé. Les rues étaient les mêmes, les boutiques étaient les mêmes. L’ambiance restait inchangée, Hope pouvait encore sentir ce parfum électrique, mélange de fête permanente et de croyances mystiques, cette atmosphère qu’elle avait si bien connue quand elle était plus jeune et qu’elle retrouvait à présent. Mais c’était elle, surtout, qui avait changé. Quand elle était partie, elle n’était qu’une adolescente insouciante, dont les ambitions et les rêves se limitaient à la réussite scolaire et à l’obtention d’un baiser de la part du voisin trop craquant. Et maintenant … Elle avait quelques années de plus, mais elle avait l’impression d’avoir pris un siècle depuis sa dernière venue à la Nouvelle Orléans. Sa vision du monde toute entière avait changé, son âme elle-même avait été échangée. D’une adolescente, elle passée à un futur monstre en puissance … Hope frissonna et secoua la tête, s’interdisant de penser à ça. Elle n’était pas encore un monstre, et tant que les faits ne s’étaient pas produits, elle aimait croire qu’ils n’existeraient jamais. Mais elle ne pouvait pourtant pas effacer cette angoisse sourde qui montait au creux de son estomac … Elle avait cru que flâner en ville lui redonnerait le sourire, pourtant elle s’était trompée. Elle était heureuse de revoir ces rues familières qui faisaient remonter à la surface tant de souvenirs d’une époque bienheureuse, mais ce n’étaient que des souvenirs. Marcher seule au milieu de son passé ne lui était pas d’un grand secours. Ce qu’elle aurait voulu, c’était pouvoir revivre comme si les années ne s’étaient pas écoulées, comme si elle revenait après quelques semaines d’absence pour retrouver ses amis, leurs délires et leur insouciance. Mais elle ne se faisait pas d’illusions : elle était partie comme une voleuse, sans donner de nouvelles, et ses amis étaient passés à autre chose depuis belle lurette. Pourtant … Hope se plaqua soudain contre un mur, se glissant dans l’ombre avec l’aisance de l’habitude. Sur le trottoir d’en face, une jeune femme rousse venait de sortir d’une boutique, et Hope la regarda s’éloigner avec un petit pincement au cœur.

Sa première pensée, en retournant à la Nouvelle Orléans, avait été pour sa meilleure amie de l’époque, Rosann. Elle avait souvent pensé à elle ces dernières années, regrettant d’avoir mis fin aussi brutalement à leur amitié, mais sachant ce qu’elle savait, étant ce qu’elle était … Il n’y avait pas d’autre solution, n’est-ce pas ? Elle avait fait une croix sur elle, le cœur lourd et des regrets plein la tête, mais elle s’y était tenue jusque là, s’empêchant de lui envoyer le moindre message, ou même de l’appeler quand elle avait eu besoin d’entendre sa voix. Et elle avait besoin d’elle aujourd’hui, plus que jamais … Mais ça faisait des jours qu’elle était rentrée, et ça faisait des jours qu’elle s’empêchait de retourner vers Rosann. Et plus les jours passaient, plus elle se rapprochait de la prochaine pleine lune … Quelque chose en elle lui hurlait de retourner vers son amie avant qu’il ne soit trop tard – avant qu’elle ne passe complètement de l’autre côté. Toutes les raisons qu’elle avait eues de rester loin d’elle étaient en train d’être décimées par ce besoin impérieux de l’avoir à ses côtés, de se faire pardonner avant de devenir pire encore. C’était maintenant ou jamais. Et jamais, c’était tout simplement impensable. Hope s’arracha alors de l’ombre confortable où elle se cachait, refusant de réfléchir une seule seconde supplémentaire. Au coin de la rue, la silhouette de Rosann disparut et Hope accéléra le pas, le cœur battant. Maintenant qu’elle avait pris sa décision, il n’était pas question de perdre Rosann aussi bêtement, elle ne voulait pas remettre ça à plus tard, sans quoi elle risquait de voir sa volonté s’effilocher et peut-être disparaître complètement. Il était si facile de se laisser aller à la lâcheté … Hope tourna à l’angle de la rue, juste pour voir Rosann entrer dans une nouvelle boutique. Elle ronchonna une seconde, pas vraiment désireuse de la suivre à l’intérieur : elle ne voulait pas passer pour une psychopathe la suivant dans les rues – même si c’était le cas ! Mais elle esquissa un sourire en réalisant que la boutique était en fait un café. C’était déjà plus évident d’y entrer sans que ça paraisse trop étrange. Il ne restait plus qu’à espérer que son ancienne amie y serait seule, ce qui n’était pas encore gagné. Mais Hope se dépêcha d’entrer dans le café, évitant de penser à ce qu’elle ferait si elle découvrait Rosann attablée avec quelqu’un. Mais elle eut un coup de chance : la rouquine était assise seule, et elle ne la regardait pas. Hope prit alors une grande inspiration, et s’approcha. « Rosann … ? »

☆ ☆ ☆
I wanna cry and I wanna love but
all my tears have been used up.
crédit ~ quote/tom odell, another love..

La revoir était une souffrance. Son coeur la martelait d'une litanie qu'elle espérait faire disparaître dans un ultime effort que son âme brisée s'évertuait à déployer tandis que son être se parait d'amertume. L'absurdité de la situation n'en était que plus pénible par sa nature incommode. Qu'était-il advenu d'eux ? Où s'était envolé les longues discutions enflammées qu'elles partageaient la nuit tombée, lorsque la lune les observait jalousement à travers les vitres, les baignant dans une atmosphère paisibles. Tellement sereine qu'elles semblaient à l'abri des coups du destin. Le regard plongé dans celui de l'autre, s'abreuvant des mots qu'elles soufflaient dans la pénombre, leurs mains inconsciemment fermement liés autour de la même tasse de café. Deux corps, une seule âme. « Hope ? » Fit-elle avec des intonations jumelles, où l'on pouvait sentir la surprise et l'insécurité se mêler. Cela faisait tant d'années que la rouquine avait fait son deuil de cette amitié passé qu'elle en avait presque oubliée les traits d'une indicible finesses qui caressait l'épiderme de la jeune femme. L'ancre de leurs affections s'étaient amarré à leurs adolescences. Les gens pouvaient changer tellement en l'espace d'un temps si restreint que cette confusion lui retirait l'air, la gorge sèche. Ou était-ce de croiser le sable de son regard qui paralysait chacun de ses muscles ? Des frissons parcouraient son échine tandis que ses phalanges laissaient glisser sa tasse. « Je ne parviens pas à le croire, est-ce vraiment toi ?  » Les mots mourraient à nouveau dans le plis de ses lèvres. Faisant preuve d'une maîtrise qu'elle ne se connaissait pas, Rosann parvenait à aborder le visage le plus impassible possible, seuls ses yeux trahissaient la foule de sentiments qui s’abattaient maintenant en elle. C'était une tempête qui avait élu domicile dans son corps, elle se sentait étrangère, une naufragé qui avait d'ores et déjà perdu la bataille. Une inconnue que son propre être ne souhaitait plus venir en aide. Abandonnée aux griffes d'un destin incompétent, incapable d'arriver à un résultat satisfaisant. La jeune fille se retenait de lui sauter au cou pour laisser éclater cette joie qui grandissait dans son bas ventre, une joyeuse allégresse que les souvenirs amplifiaient. C'était une chaude sensation qu'elle pensait ne plus jamais être capable de ressentir, un caresse atone, tel des braise que l'on raviverait avant qu'elle ne s’éteigne. Les vestiges d'un espoir. Durant une longue seconde Rosann se surpris à vouloir se réveiller si fort qu'elle aurait presque aimer se pincer, être certaine qu'elle ne vivait pas un rêve éveillé. L’amertume du silence emplissait néanmoins déjà sa gorge. Pour toutes les années où Rosann avait eu besoin du soutien de celle qu'elle considérait comme une soeur, qu'elle aimait davantage encore que celle que Dieu lui avait offert. Pour toutes les fois où elle s'était retrouvée face à l'échos de sa messagerie téléphonique, le néant comme unique réponse. Cette douleur lancinante de ne pas avoir été à la hauteur, ne pas avoir mérité une explication. « Que fais-tu ici ? » Fit-elle avec plus de rudesse qu'elle ne l'aurait voulu. Elle se mordait l'intérieur de la joue. « Depuis combien de temps es-tu de retour en Louisiane ?   » L’esprit primait sur la matière et malgré sa chair qui était torturé par une doucereuse souffrance, sa curiosité entachait ses mots. Pourtant la sorcière s’efforçait de calmer le flux d'images qui lui apparaissait, les tendres moments qui étaient rattachés à sa longue crinière de blé. Ses dents mordaient sa lèvre inférieur tandis qu'elle buvait une longue gorgé de la boisson maintenant tiède qu'elle avait commandé quelques minutes plus tôt seulement au comptoir. C'est fou, parfois le destin est pleins d'ironie. Depuis quelques semaines les démons de son passés venaient la hanter, les uns après les autres et Rosann se sentait acculé. Perdu dans le brouillard de sa conscience, une âme charitable, voilà tout ce dont elle avait besoin pour réussir à survivre et l'on lui envoyait Hope. « Tu peux t’asseoir si tu le souhaites, je n'attends personnes, je-  » Ce n'avait été qu'un fragile murmure que sa voix brisé avait tenté de souffler alors que la station elle-même lui paraissait absurde. Chacune de ses phrases tournaient autour d'elle en un bourdonnement plaintif, tout était si effroyablement idiot. L’ébranlement de sa propre santé mental, elle se sentait au bords d'un précipice qui se faisait à chaque fois plus profond. Et la peur, cette ignominie, soufflait une brise glaciale contre sa  peau de porcelaine.  « Comment as-tu pu partir sans rien me dire...  » Dit-elle dans un souffle, un poids soulevant son coeur.

Hope était devenue une guerrière, elle était capable de faire face sans ciller à des hordes de créatures surnaturelles et menaçantes, mais elle perdait soudain tous ses moyens devant une situation aussi terriblement banale que des retrouvailles avec une amie à qui elle avait tourné le dos voilà des années. Mais il était plus facile de compter sur des capacités au combat qu’elle avait perfectionnées pendant de longues heures d’entraînement pour défaire un ennemi, plutôt que sur une certitude quasi-inexistante que ces retrouvailles se passeraient sans heurt. Elle faisait face à la vie dans toute sa simplicité, mais paradoxalement, c’était cette simplicité qui prenait soudain des allures de casse-tête indéchiffrable. Elle ne savait pas quoi faire, quoi dire, comment réagir. L’angoisse lui serrait le ventre, rendait ses paumes moites et sa voix peu assurée. Plantée toute droite devant celle qui avait été comme sa sœur pendant si longtemps, avec qui elle avait tout partagé, et qui était bien en droit de la considérer aujourd’hui comme une étrangère … Ce qu’elle ne fit pourtant pas. Pas tout à fait. Sa surprise était légitime, tout comme son incrédulité. Hope elle-même avait du mal à croire qu’elle se tenait bien là, qu’elle avait franchi le pas et qu’elle revoyait Rosann, si terriblement réelle en face d’elle, si proches mais séparées encore par tout un mur de non-dits. Dans sa tête, à chaque fois qu’elle avait imaginé des retrouvailles, elle avait toujours opté pour le schéma le plus positif, celui qui ressemblait plus à un épisode des bisounours qu’à un chapitre de la réalité. Elle n’y avait jamais vraiment cru – mais à vrai dire, elle n’avait jamais cru qu’elle la reverrait pour de bon – mais elle aurait préféré qu’elles se jettent dans les bras l’une de l’autre en poussant des cris de joie plutôt que de se regarder chacune comme si l’autre était un fantôme. Ah, mais elles n’étaient plus en âge de croire aux fantômes. Pour ce que Hope en savait, elle ne serait même pas surprise d’en voir apparaître un. Elles se regardaient seulement comme deux anciennes amies que la vie avait séparées. Et que la vie hésitait encore à réconcilier. Les questions de Rosann étaient peu surprenantes, mais Hope sentit son cœur se serrer encore un peu plus. Elle pouvait sentir le ressentiment dans la voix de la jeune femme, et elle n’était pas sûre de pouvoir l’effacer. « Je suis arrivée il y a une semaine … Et ca fait une semaine que j’essaye de trouver le courage de venir te parler. » Elle regarda ensuite la chaise en face de Rosann, comme si elle hésitait à s’y asseoir, pressentant que si elle le faisait, elle devrait de réelles explications à son amie. Et d’un coup, elle avait terriblement peur de devoir s’y plier … Mais n’était-ce pas pour ça qu’elle l’avait suivie depuis des jours ? Qu’elle était entrée dans ce café ? Elle s’assit donc, le regard fixé sur ses mains, subissant la dernière question, la plus importante de toutes, celle qu’elle avait si bien évité tout ce temps. Elle soupira et se passa la main dans les cheveux l’air plus que gênée, puis elle releva la tête et regarda Rosann dans les yeux. Il fallait bien commencer par le début. « Je suis venue m’excuser. J’aurais du le faire il y a des années, je sais bien, mais … » Elle détourna le regard et le fixa à nouveau sur la table. Emplie de honte, mais également de cette peur si dévorante qu’elle subissait depuis plusieurs semaines, et qui ne la quitterait plus jamais. Mais c’était pour ça qu’elle était venue ici. Parce que sa peur lui prouvait qu’elle s’était trompée depuis le début, et que les raisons de son départ n’existaient plus à présent. « Je ne voulais pas te quitter, mais je ne pouvais pas vraiment faire autrement. Peu avant que je parte, mon père a … » Elle hésita, buta sur les mots. Elle n’avait jamais parlé de ça, à personne. C’était le secret qu’elle partageait avec son père, une affaire de famille qui ne sortait pas du cercle Sparrow. « Il m’a révélé certaines choses. A propos de créatures qui n’étaient pas tout à fait humaines. » Elle avait soufflé ces derniers mots à voix très basse, légèrement penchée en avant pour que seule Rosann puisse l’entendre. « Tu te souviens, quand on était petites ? On ne s’est jamais rien caché. Tu ne m’as jamais rien caché, tu me faisais confiance, à propos de … De certaines choses, dans ta famille … Qui ne représentaient rien pour moi à cette époque, mais c’est resté dans un coin de ma tête. Et quand mon père m’a parlé de toutes ces personnes dotées de pouvoirs qui vouaient leur vie au mal, je me suis souvenue de toi. J’étais une ado, je ne savais pas quoi penser de tout ça. Mais je savais que je ne voulais pas te faire de mal, je ne voulais pas que mon père sache pour toi, et je ne voulais surtout pas que tu apprennes ce que je faisais … » Plus les mots sortaient, et plus elle réalisait que ce n’était pas du tout la façon dont elle aurait voulu présenter les choses. Mais il était trop tard, et la confession devait être faite, peu importe la tournure qu’elle prenait.