À sa naissance, je savais que j’étais la mère d’une enfant extraordinaire. Ma mère l’était,  moi je n’ai pas eu cette chance. Je n’en suis pas malheureuse, j’ai vécu ma vie simplement, plus facilement que ma mère, j’en remercie le ciel chaque jour. Seulement, je me doutais que ce jour arriverait, que ma fille devrait quant à elle vivre avec les spécificités de la génétique. Je l’entends qui pleure, mon cœur bat toujours la chamade, le sang me sèche sur les jambes, mais je veux la voir, j’ai souffert, pour mettre au monde un être qui va souffrir, je veux la voir et la serrer fort, lui promettre que tout ira bien.

Nous sommes rentrés quelques jours après sa naissance. Elle était si calme et si mature pour un bébé. Elle ne pleurait pas pour manger, ses petits bras ne faisaient que s’agiter dans les airs et je comprenais tout de suite. C’était magique, cette façon qu’on avait de se comprendre, mais sans l’être vraiment. Ses dons ne pouvaient être apparus encore, bien trop tôt. S’il y avait bien quelque chose que je me rappelais de ma propre mère, c’est que mon adolescence avait été un enfer pour elle et les siens, le moment où mes gènes se sont manifestés comme incompatible avec la nature de ma descendance. Oriane, ma fille, n’aura pas ce stress, je la laisserai être qui elle désire, quand elle le désirera. Tout ce que je sais, c’est qu’elle fera de grandes choses, ma mère lui avait laissé en héritage une force incomparable, peut-être une force suprême.

Malheureusement, j’ai su bien rapidement qu’elle ne serait pas la Suprême, sa santé n’était pas à son meilleur. Après seulement quelques mois, les spécialistes ont découvert des rétinoblastomes dans chacun de ses yeux. J’ai dû faire vivre à mon enfant, la chair de ma chair, une des choses les plus horribles que j’ai pu lui faire subir, des traitements médicaux interminables. Elle commença à l’âge de cinq ans, et ce, jusqu’à son septième anniversaire, les tumeurs s’étant diminuées, nous avions cru à une trêve. Le repos, nous l’avons eu, durant quelques années. Des années exemplaires, si je peux m’affirmer ainsi. Elle allait à l’école, malgré une vision faible comparativement à ses camarades, sa santé avait repris le dessus. Aucun problème, jusqu’à ses quinze ans, le jour de son développement paranormal. Alors qu’elle se baladait avec un garçon qui lui plaisait bien, celui s’approcha et l’embrassa, surprise elle ne broncha pas, mais lorsqu’il posa sa main sur sa cuisse, elle fut prise de stupeur et recula. Cherchant à reprendre le rythme de leur baiser le garçon reprit ma fille, qui paralysa le jeune homme au point qu’il s’effondra parterre. La peur avait mis en marche la machine, la génétique reprendrait le dessus, aussi le bon que le mauvais, car pendant qu’elle développait l’étendu de sa magie, les cellules cancéreuses reprenaient le chemin de ses yeux. À dix-neuf ans, elle prit le chemin de l’hôpital à nouveau et la radiothérapie serait son quotidien pour une autre année. Ce terrible fléau ne fut éradiqué qu’après son vingtième anniversaire et dans un terrible accident. Alors que le médecin lui ordonnait se calmer durant un traitement, enchaînée à une chaise et les paupières maintenues ouvertes durant les radiations, ses pouvoirs tentèrent de la libérer, mais provoqua une folie indescriptible qui se résuma en une brûlure incurable des yeux d’Oriane. Le cancer n’était plus, tout comme ses yeux. Après des mois de soins, elle partit tout de même à l’étranger afin d’étudier les arts.

Là-bas, nous lui offrions un mentor pour l’aider dans ses déplacements, mais aussi avec l’école. Cet employé sera la première véritable histoire d’amour de ma fille. Ce garçon si généreux et si bon, n’acceptait même plus les chèques que nous lui avons envoyés en guise de remerciement. Nous n’avons jamais eu le plaisir de le rencontrer, malheureusement. Notre décès prématuré a fait que nous n’avions qu’une image tirée de notre imaginaire de cet homme et de leur relation, mais où je suis, j’ai tout suivi. Après le deuil, ma fille parvint tout de même à terminer l’école avec des mentions admirables, surtout pour une jeune femme dans sa condition. Elle peignait quand même, avec l’habileté d’un voyant, elle partageait des analyses incroyables lorsqu’on lui faisait la lecture de textes, etc. Tout ça, grâce à l’homme qui se donnait comme mission de la protéger du mal, jusqu’au jour où il devint lui-même un danger. Sans aucune raison apparente, il disparut une journée d’été alors que ma petite Oriane se préparait à rentrer à la maison. Mes soupçons se tournent vers des idées surnaturelles, mais rien ne peut confirmer ce que j’avance, après tout je peut-être loin de la vérité. Seulement, Oriane se retrouva seule, diplômée, sans personne pour l’aider à traverser le pays en entier pour revenir chez elle. Ce fut un coup du miracle qui l’aida à reprendre là où on l’avait laissé, là où IL l’avait laissé.

Ce coup du destin est un roman en soi. Solange est celle qui a sauvé ma fille, cette femme mystérieuse qui a montré à Oriane ce que personne d’autres ne pouvaient lui apprendre. L’histoire des sorcières, les règles à suivre, le Conseil, la maitrise de ses dons, … Rien n’avait été mis de côté. Tout ça avait commencé avec une simple fascination pour une jeune femme blonde, aux yeux blanchis, qui s’intéressait au latin, puis d’une simple discussion pour mettre à la lumière du jour des vérités qu’on ne peut dire à tous. Solange avait trouvé ma fille et elle remplirait les trous que je n’avais pu remplir, comme ma mère était morte beaucoup trop tôt pour le faire. Sachant que ma fille repartirait pour notre foyer, elle avait voulu lui offrir un cadeau de départ et avait trouvé ma fille seule, pleurant sur le divan de son appartement. Je dois la vie à cette femme, beaucoup plus que la mienne, je lui dois le Ciel. Elle accompagna ma fille dans son déménagement et lui promit de venir la voir le plus souvent qu’elle le pourrait, promesse qu’elle tient toujours aujourd’hui.

Cette maison vide qu’elle récupéra en héritage, avec la petite fortune que nous lui réservions, ma fille la récupéra la tête haute, elle voulait pouvoir vivre seule, s’en sortir dignement. Grâce à de l’aide d’amis de notre famille, elle reprit sa routine à la Nouvelle-Orléans, dans notre grande maison, qui lui paraissait encore plus vide qu’elle ne l’était vraiment. Sans parents, sans amant, sans décor, sans vie. Quatre années sont passés depuis, sa condition ne lui a pas permis de trouver du travail, ou d’établir beaucoup de projets, mais elle sait qu’elle doit se reprendre en main et commencer une nouvelle vie, une vraie vie.