En transe, entourée par la fumée des immortelles qui brûlent. Elles me permettent une communication directe avec ceux qui ne sont plus là. Les morts qui, sagement, me surveillent dans l'ombre. « Un loup ? Dans notre demeure ? » J'entends sa voix, celle de ma descendante du siècle dernier. Cette maison lui appartenait et c'était grâce à elle que ses voisines de l'au-delà coopéraient. Sa parole résonne dans ma tête, alors que je suis assise en indienne sur le sol, des bougies allumées aux alentours. « Il n'est pas comme les autres. Il veut se libérer. Je sens le bon en lui. » « Nous devons donc le laisser entrer ? » « Absolument. » « Parfait, si tel est ton souhait. » Le lien se coupe et je reviens à moi. Armani ne va pas tarder. Nous avons rendez-vous. Par chance, mon colis est arrivé aujourd'hui. Une malle contenant mes effets d'un ancien temps. La robe que je portais le jour de ma mort. Le talisman de ma grand-mère. Quelques ouvrages de sorcelleries, et un objet très important. Une pierre de Lune. Artefact extrêmement rare et puissant du monde magique. Il me sera utile dans mon entreprise pour briser la malédiction de la Lune. Je n'ai pas encore étudié la question en profondeur, mais avec l'aide de ce jeune loup (plutôt séduisant je dois dire), ma tâche sera moins ardue. Notre séance d'aujourd'hui me permettra de lancer quelques sorts de compréhension. De me préparer, et de le préparer à un éventuel succès dans notre quête. Dans mon salon, je consulte mes grimoires pour m'instruire. Les bougies sont toujours allumées et j'en ajoute d'autres. Toute la pièce est éclairée. Soudain, la sonnette retenti.

En me dirigeant vers le hall d'entrée, j'ordonne aux sorcières de laisser le champ libre à Armani. Me tenant devant la porte, cette dernière s'ouvre comme par magie et mon jeune ami apparaît. « Bonjour Armani, entre je t'en prie. » dis-je avec un large sourire, avant de tourner les talons en direction du salon. J'espère qu'il va suivre, nous avons beaucoup de choses à faire. Il me semble l'avoir vu avec un bouquet à la main. Essaye-t-il de me charmer ? Ça ne m'étonnerait pas. Armani a un sacré tempérament. Mais je ne cèderai pas à ses avances si avances il y a. Pas de sentiments, pas d'attachement, pas de manque, pas de problème. Ma devise dans ce nouveau monde. La devise qui m'aidera à atteindre mon but. Mais je dois bien avouer, que sa situation me touche. Il souffre tant. J'ignorais que lancer cette malédiction pourrait engendrer autant de malheur et de souffrance. Le mal que j'ai créé a touché plus que les coupables, il s'est étendu aux innocents. Et c'est à moi de les aider à présent.

Mon invité ne tarde pas à me rejoindre, et la porte se referme délicatement derrière lui. Du hall, nous passons au salon rempli de bougies allumées. Une table carrée est prête à nous accueillir. Nous nous exercerons dessus. À la magie bien sûr, n'allez pas penser autre chose ! Esprits mal-placés. « Tiens, je t'ai apporté ça. » Je viens prendre son bouquet de fleur, en lui souriant amicalement. Des roses, mes préférées. Immédiatement je les place dans un vase que je dépose sur cette fameuse table. « Merci, elles sont très belles. » « Et deux, trois, trucs aussi. » Curieuse, j'ouvre son sac et y découvre une bouteille de vin moderne, avec un emballage de ? De je ne sais quoi. Je fais mine d'apprécier et le gratifie d'un baiser sur la joue. En signe de bienvenue, et pour exprimer mon contentement de le voir ici. « Je t'en prie, installe-toi. » Lui dis-je en désignant une chaise rangée sous la table. Je le laisse ensuite seul, et je m'en vais chercher la pierre de Lune, et le grimoire de ma chère sœur. Elle y a consigné (semble-t-il) les étapes du sortilège de la malédiction lunaire, après ma mort. Sans doute pour que les générations suivantes puissent en connaître les moindres détails, si besoin est. Elle était ainsi, ma tendre Eleannor, soucieuse de l'avenir presque autant que du passé. Oh, il me fallait aussi le calepin de Gréta Franklin. Cette sorcière a vécue au XIXème siècle et a étudié de très près la nature étrange des loups. Ces travaux me seront utiles j'en suis persuadée. Me revoilà dans le salon, mes livres à la main et la pierre céleste emmitouflée dans un bout de tissu. « Alors, programme de cette fois ? » Armani est impatient, semble-t-il. Mais je le sens aussi nerveux. « Détends-toi, tu ne crains rien ici. Les autres ne te feront aucun mal. » Toujours avec un sourire, je tente de le rassurer, avant de m'asseoir en face de lui. « Bon, je vais tâcher d'être clair. Voici une pierre de Lune. » Je dépose celle-ci sur la table, bien au centre, au milieu d'un cercle tracé au couteau dans le bois. « Les pierres de Lune sont extrêmement rares, et servent à lier de puissants sortilèges en rapport avec la Lune. Mon objectif est de créer un sort qui viendra remplacer celui de la malédiction. Pour ce faire, nous devrons affaiblir ton côté animal, et privilégier ton côté humain. Ce qui risque d'être assez douloureux. » Sur le coin de la table se trouve une coupe remplie d'un breuvage assez spécial. De l'aconit bouillie, mélangée à de l'asafoetida et du sang humain. L'asafoetida possède la propriété de chasser les démons et ondes issues de la magie noire, ce qui semble tout indiquer. Un mélange expérimental. Seul l'avenir nous dira si son utilisation sera profitable. « Avant de commencer, je dois te demander un peu de ton sang. » Sans attendre sa réponse, je me saisis d'un couteau et taillade la paume de sa main. Le liquide s'écoule sur la table et vient remplir l'entaille dans le bois, formant un parfait cercle de sang. « Ce cercle te représente toi, et ton asservissement à la Lune. Maintenant, bois. » Je ne l'avais pas prévenu. Il ignorait tout du contenu de ce verre, mais s'il voulait mon aide, Armani devrait faire exactement tout ce que je lui disais. Si les choses dégénèrent, la salle est sécurisée. Il ne s'en doute pas, mais à la seconde où il s'est assis sur la chaise, un sort l'a scellé à celle-ci. De cette manière, il ne pourra ni fuir, ni se débattre au point de provoquer une pagaille. Mes méthodes sont rudes, mais elles ont fait leurs preuves par le passé. Le jeune Hückel doit avoir confiance en moi, jusqu'au bout.